Je suis entré très jeune dans la Résistance. Vers 5 ou 6 ans.
Peut-être du fait que la maison familiale se trouvait en Corrèze.
Mais quand on est maquisard, tout doit rester secret ; ainsi, pour tout le monde, ce maquis qui était le terrain de tous mes exploits était plus connu sous l'appellation anodine de… jardin de mes parents. Le dit « jardin » bénéficiait d'une topographie particulièrement diversifiée :
- une forêt sombre et mystérieuse (quelques arbustes qui me paraissaient gigantesques),
- un désert immense (un tas de sable, vestige de la construction de la maison),
- un point d'eau providentiel (une buse enterrée où croupissait un peu d'eau),
- des sentiers escarpés où je semais ces sales nazis (les allées en ciment coulées par mon père)
… le tout peuplé d'une kyrielle d'animaux féroces (lézards gris, mulots, garennes, hérissons et autre bestioles venues des prés voisins).
C'était un dimanche après-midi. Le soleil tapait dur sur le maquis corrézien. J'étais seul. Seul contre ces sales nazis qui avaient installé leur camp à proximité de la forêt.
Il me fallait trouver des armes au plus vite. Je me précipitai vers l'atelier de mon père et m'emparai d'un des serre-joints en ferraille dont il se servait pour le coffrage du béton. J'avais ma mitraillette. L'illusion était parfaite ; rien à voir avec ces ridicules armes en plastique ou en bois. En fouillant plus avant dans l'atelier, je fis une découverte inespérée : un casque de chantier blanc, avec lanières de fixation… et tout, et tout.
Jamais maquisard n'avait été mieux équipé.
Les sales nazis n'avaient qu'à bien se tenir. Et si, par malheur, je venais à être blessé (légèrement, hein !), la belle -très belle- maquisarde du camp viendrait me soigner sur le champ de bataille.
L'assaut fut sanglant. A la fin de l'après-midi, j'avais tué des centaines de nazis. Et pas une égratignure. J'étais bien trop malin pour eux.
Pour la belle maquisarde, on verrait plus tard.
Mon devoir accompli (et avec quel brio), je décidais de cacher mes armes et mon équipement ; un trou dans le désert ferait l'affaire.
Le lendemain soir, mon père, un homme calme qui ne s'énervait que rarement et qui m'impressionnait beaucoup, rentra du travail avec une tête peu amène.
Il vint directement vers moi :
- « Où as-tu mis mon casque ? »
- « ... » (Oh l'ôt, comment il sait que c'est moi ? Il est trop fort !)
- « Je répète… Où as-tu mis mon casque ? »
J'ai eu un moment d'hésitation ; un instant, j'ai pensé tout révéler à mon père. Lui parler de mon engagement de maquisard, du fait que j'avais absolument besoin d'un équipement haut de gamme pour combattre les sales nazis… lui parler de la belle maquisarde, même.
Et puis finalement, j'ai simplement dit :
- « Dans le désert, je l'ai enterré dans le désert . »
- « Quoi ? »
- « Dans le jardin. Le sable ! »
Je n'ai qu'un souvenir confus de ce qui a suivit. Tout ce dont je me souviens, c'est d'avoir ressenti une douleur lancinante à la joue et aux fesses pendant un bon moment ; et aussi d'avoir décidé que, finalement, les maquisards pouvaient très bien être héroïques sans casque.
La belle maquisarde n'est pas venue me consoler.
Dans le jardin, les sales nazis rigolaient.
elle serait pas de toi vins par hasard